Introduction générale
Au-delà des aspects purement militaires de la lutte antiterroriste, le Niger n’a pas occulté le volet judiciaire en mettant en place d’institutions et de législation à même de prendre en charge les personnes interpellées par les forces de sécurité intérieure. Cette réponse pénale au terrorisme qui sévit dans l’extrême Est du pays sous les agissement de Boko Haram est marquée par le nécessaire respect des droits humains particulièrement ceux des enfants impliqués dans ce confit quand on sait que depuis un certain temps le groupe terroriste en a fait ses armes de combat. L’utilisation des enfants dans les rangs de Boko Haram n’est plus à démontrer. En effet de nombreux enfants ont été interpellés par les militaires nigériens dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le bassin du Lac Tchad. Cette situation a amené l’Etat du Niger à prendre des dispositions afin d’assurer le respect des droits humains dans le volet judiciaire de la lutte antiterroriste.
Pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires, notamment la criminalité transnationale et surtout l’implication des enfants dans la commission d’actes terroristes par le groupe terroriste Boko Haram, en plus du dispositif national existant, les autorités nigériennes se sont également investies aux efforts de consolidation de la sécurité à travers l’extension de la compétence du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme, à la criminalité transnationale organisée et la mise en place de procédure plus adaptée aux mineurs impliqués dans de faits de terrorisme par l’adoption de plusieurs textes [1]
S’agissant particulièrement de la prise en charge des enfants (mineurs) présumés terroristes par le système de justice pénale nigérienne, elle s’est faite en deux phases. Dans un premier temps, cette prise en charge était marquée par une répression systématique (Chapitre I), dans la mesure où l’ensemble des personnes interpellées qu’elles soient majeurs ou mineurs, des poursuites pénales ont été engagées contre elles.
Dans un second temps, s’agissant particulièrement des enfants soupçonnés de terrorisme, à partir de l’année deux mil seize (2016) des procédures tendant à assurer leur protection au détriment de la répression ont été initiées et cela en conformité avec les principes de Paris. (Chapitre II).
Chapitre I : La répression systématique des enfants associés au conflit terroriste Boko Haram
La politique de répression systématique des enfants soupçonnés d’infractions terroristes est justifiée par la primauté de la protection de la société et des droits à la vie et à l’intégrité physique des personnes (Section 1) et se caractérise par une absence de politique de réinsertion sociale adéquate pour les mis en cause (Section 2).
Section 1 : La primauté de la protection de la société et des droits à la vie et à l’intégrité physique des personnes
Le souci constant de la sécurité du corps social dans la lutte contre le terrorisme infantile justifie le caractère systématique des poursuites engagées contre les mineurs interpellés sur le théâtre des opérations (Paragraphe 1) avec comme corollaire, le recours systématique à la détention (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La poursuite systématique des enfants associés au groupe terroriste Boko Haram
S’il est un domaine dans lequel la tension entre sécurité et libertés apparaît avec une particulière évidence, c’est bien celui de la lutte contre le terrorisme où ces deux valeurs se trouvent spécialement menacées. L’affirmation du droit à la sécurité appelle nécessairement des mesures de protection qui soient à la hauteur de la menace terroriste. L’idée s’est rapidement imposée que les outils procéduraux ordinaires ne suffiraient pas et que la nécessité de lutter contre le terrorisme pouvait exiger de recourir à des moyens exceptionnels, quitte à apporter d’importantes limitations aux droits et libertés individuels par ailleurs garantis dans toute société démocratique. Les attentats de New York du 11 septembre 2001, ceux de Madrid du 11 mars 2004, ou encore ceux de Londres du 7 juillet 2005 sont apparus comme autant d’occasions de souligner les nouvelles dimensions prises par la menace terroriste et par là même de confirmer cette idée que les sociétés démocratiques n’ont sans doute d’autre choix que celui d’être moins démocratiques pour la combattre[2]. Avec le temps, ce qui était exception tend ainsi à devenir normalité et le développement d’une procédure pénale parallèle, d’une procédure « bis », se confirme[3]. Dans tous les cas, les principales restrictions apportées aux libertés individuelles sont généralement admises, aussi bien par le Conseil constitutionnel français que par la Cour européenne des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel, qui tient toujours compte de la gravité et de la complexité des affaires de terrorisme appelant des recherches particulières afin de sauvegarder des droits de valeur constitutionnelle directement atteints par les menées terroristes[4]. La Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence enseigne que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme sont généralement perçues comme autant de restrictions nécessaires dans une société démocratique, justifiant qu’une marge nationale d’appréciation plus importante soit reconnue aux Etats[5]. Mais, le fait d’admettre que la lutte contre le terrorisme appelle une riposte spécifique permet précisément au Conseil constitutionnel et à la Cour européenne des droits de l’homme d’exercer un contrôle des mesures prises et d’en limiter les principaux excès. Chaque instance œuvre dans le sens d’un encadrement des procédures dérogatoires applicables au terrorisme, de manière à éviter les réelles dérives sécuritaires.
C’est ainsi que dans le cadre de la lutte antiterroriste au Niger, on a assisté à des poursuites systématiques des enfants interpellés par les forces de sécurité intérieure. Cette attitude du parquet du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme peut se justifier par l’opinion publique qui était déjà formatée à ne pas cautionner un classement sans suite dans les affaires de terrorisme. Ainsi l’opportunité de poursuite qui est la faculté donnée au Procureur de la République d’apprécier les faits à lui soumis et de décider ou non de poursuivre, laisse place à la légalité des poursuites dans la mesure où les poursuites sont devenues systématiques. A cela s’ajoute le fait que les magistrats ayant en charge le traitement du courrier du parquet, n’avaient pas assez de courage vu le contexte sécuritaire, marqué plutôt par la réponse militaire à la campagne terroriste menée par Boko Haram, pour apprécier objectivement et souverainement les faits. Cela a eu pour conséquence des recours systématiques à la détention des enfants mis en cause.
Paragraphe 2 : Le recours systématique à la détention
La détention des mineurs fait depuis longtemps l’objet de textes internationaux qui tentent d’en limiter l’usage. La privation de liberté doit non seulement être en conformité avec la loi, elle doit être aussi une «mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible»[6]. À l’heure où l’on entend un concert de protestations sur le caractère laxiste de la justice pour mineurs, il est bon de rappeler que la communauté internationale s’est entendue pour limiter la privation de liberté et ne l’infliger que dans certaines conditions.
Le Niger demeure dans le peloton de tête des nations qui recourent assez systématiquement au traitement pénal de la délinquance des mineurs par la mise en détention[7]. Sans nier les tentatives des gouvernements pour améliorer les conditions d’enfermement des mineurs celles-ci demeurent toutefois en deçà des standards internationaux.
S’agissant particulièrement des difficultés à mobiliser les mesures à caractère éducatif sur la détention préventive, on peut noter que, pour les magistrats, la manette «placement» est beaucoup plus difficile à manier que la manette «détention», d’autant que, dans l’urgence, il peut se trouver dans l’impossibilité de trouver un hébergement lorsqu’il est nécessaire de retirer le jeune de son milieu familial. Le refus des «offreurs» contraindrait le juge à envisager la détention provisoire comme seule issue matérielle possible. Cependant, il n’est pas douteux que, au nombre des motifs qui conduisent un magistrat à recourir à la détention provisoire, deux préoccupations l’emportent largement. La première est celle de l’ordre public. Le maintien, même sous contrôle judiciaire, de certains mineurs en liberté est impossible, en raison de leur comportement. Cette motivation, qui se range sans difficulté dans l’une des raisons, celle énoncée au 3) de l’article 131 du code de procédure pénale[8] , pouvant justifier la détention provisoire, n’est pas propre aux mineurs. La seconde est celle de l’immédiateté. La mise en détention constitue, cela va de soi, une réponse entière, soudaine et radicale à la question posée par un comportement violent (gravement délictueux ou criminel) dans la société.
La loi nigérienne prévoit bien que la détention provisoire des mineurs de treize à dix-huit ans ne peut avoir lieu qu’à la condition qu’il soit impossible de prendre aucune autre mesure et dans tous les cas, pour une durée aussi brève que possible. Et pourtant, à bien des égards, la référence aux dispositions relatives à la détention provisoire des personnes majeures confirme que les motivations d’ordre public s’imposent dans le dispositif de la justice des mineurs. Si l’intérêt de la société et de la victime d’un acte délictueux, qui sont les préoccupations premières du droit pénal, ont leur place dans le procès fait à l’enfant, la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, a toutefois un caractère «primordial»[9], ce qui signifie qu’elle est de première importance. «Dans la réalité cependant, plusieurs raisons, parmi lesquelles le recours fréquent à la privation de liberté des enfants, permettent de douter de la volonté de réellement considérer l’intérêt de l’enfant comme primordial. Il se peut aussi que l’on prenne en compte l’intérêt de l’enfant que lorsque cet intérêt coïncide avec celui de la société»[10].
A la répression systématique des mineurs soupçonnés de terrorisme dans le cadre de la réponse pénale, s’ajoute l’absence de politique de réinsertion sociale adéquate des enfants associés.
Section 2 : L’absence de politique de réinsertion sociale adéquate des enfants associés à Boko Haram
Il est important de préciser d’abord la notion de réinsertion sociale (Paragraphe 1) avant de faire ressortir la non prise en compte de la nécessité de réadaptation sociale des enfants soupçonnés d’être en lien avec Boko Haram (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La notion de réinsertion sociale des enfants en conflit avec la loi antiterroriste
La réinsertion sociale des enfants doit être comprise comme un processus multidimensionnel qui englobe l’assistance médicale et le soutien psychosocial, les possibilités en matière d’éducation et de formation professionnelle, et le rétablissement des liens avec la famille et la communauté. Ainsi, la réinsertion s’entend du processus au moyen duquel un enfant qui a été recruté et exploité par un groupe terroriste ou extrémiste violent recouvre la capacité d’assumer un rôle constructif dans la société. Le processus de réinsertion fait suite à une perturbation qui a eu des répercussions sur la vie et le développement personnel de l’enfant et il représente une transition vers des possibilités individuelles et sociales renouvelées.
La réalisation de la réinsertion sociale doit être l’objectif principal de toute mesure prise par les autorités publiques concernant les jeunes recrutés par les groupes terroristes, et c’est une étape décisive pour garantir que l’enfant assumera un rôle constructif dans la société. Au moment d’élaborer des politiques et programmes visant à promouvoir la réinsertion sociale, il est nécessaire de tenir compte des diverses dimensions de ce processus multidisciplinaire.
Les composantes essentielles de la réinsertion sociale des enfants sont :
- Le rétablissement physique et psychosocial et appui connexe : C’est-à-dire que des mesures doivent être prises par l’intermédiaire d’interventions adaptées aux enfants, pour faire face aux effets du recrutement, de la violence et du conflit sur le bien-être physique et mental de l’enfant.
- Les possibilités en matière d’éducation et d’emploi : à ce niveau, des mesures doivent être prises pour donner à l’enfant les moyens de vivre de façon autonome. Son implication dans des groupes terroristes et la violence liée à cette implication peuvent limiter les possibilités de l’enfant en matière d’éducation et d’emploi. Les interventions doivent alors tenir compte des besoins et des aspirations des enfants, ainsi que l’environnement économique et social dans lequel s’inscrit la réinsertion.
- Le retour à la vie en famille et dans la communauté. En effet, le recrutement, l’exploitation, le conflit et l’activité criminelle ont des effets négatifs sur la vie personnelle de l’enfant. Ils bouleversent aussi ses relations avec sa famille et la communauté. Le processus de réinsertion dans la famille et la communauté doit, en apportant une réponse au conflit et à a stigmatisation, reconstruire un réseau social pour l’enfant.
Ces points sont fortement interdépendants, et négliger l’un d’eux risque d’avoir des effets négatifs sur les résultats de l’ensemble du processus de réinsertion.
Paragraphe 2 : Le non prise en compte de la nécessité de réadaptation sociale des enfants associés
Le principe voudrait à ce que les mineurs détenus doivent pouvoir exercer une activité intéressante et suivre des programmes qui maintiennent et renforcent leur santé et leur respect de soi, favorisent leur sens des responsabilités et les encouragent à adopter des attitudes et à acquérir des connaissances qui les aideront à s’épanouir comme membres de la société. Ce principe connait des atténuations dans les pays en voie de développement et particulièrement au Niger. En effet, les enfants associés au conflit Boko haram et qui ont fait l’objet d’interpellation, de poursuite et/ ou de jugement sont détenus à la maison d’arrêt de Niamey où ils n’exercent aucune activité et ne bénéficient d’aucune formation.
Il en est de même pour ceux qui sortent du circuit carcéral pour se retrouver aux centres de transit et d’orientations. En effet dans ces centres ils ne suivent pas une formation professionnalisant dans la mesure où, leur temps de séjour ne dépassant pas trois mois, n’est pas de nature à leur permettre d’apprendre véritablement un métier leur permettant de se la réinsérer dans la vie.
Au-delà du temps insuffisant pour assurer leur réinsertion sociale, il faut relever aussi que les activités qui sont menées aux CTO ne sont pas véritablement de nature à faciliter la réinsertion et la réadaptions des enfants. En effet, force est de constater que ces enfants en conflit avec la loi sont pour l’essentiel pour ne pas dire tous sont des gens qui ont vécu dans des zones où les activités principales sont la pèche et les cultures maraichères principalement du poivron. Or dans les CTO, au lieu de leur apprendre des techniques de pêche ou de maraichage, les enfants sont amenés à faire de la couture, du tricotage ; ce qui ne leur serait pas d’une grande utilité une fois de retour dans leur communauté d’origine. Pour que la réinsertion fonctionne, il faut que les programmes et services axés sur les enfants suivent une approche globale, tenant des besoins et des droits individuels de l’enfant, des attentes et des besoins des familles et des communautés, ainsi que des caractéristiques de l’environnement dans lequel le processus de réinsertion doit se dérouler.
L’absence d’une politique spécifique de réinsertion à l’endroit de ces enfants justifie sans nul doute ces griefs relevés dans le développement de ce point. En effet, à ce jour il n’y a qu’un projet de stratégie national de prise en charge des enfants associés qui n’a toujours pas été validé malgré l’atelier tenu à cet effet en décembre 2018.
Chapitre II : L’abandon progressif de la répression au profit des mesures de protection
Dans un souci de respect des droits de l’enfant, la réponse pénale est de plus en plus caractérisée par la prise de mesures de protection conformes aux principes de Paris (Section 1) mais aussi par la prise en compte de la réintégration des enfants associés au terrorisme (Section 2).
Section 1 : La prise de mesures de protection conformément aux principes de Paris
La prise de mesures de protection s’est matérialisée par la création de centres de transit et d’orientation (Paragraphe 1) qui reçoivent les enfants associés selon une procédure particulière (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La création des centres de transit et d’orientation (CTO).
Il est important de souligner que le cadre juridique international a clairement établi que le recrutement et l’exploitation d’enfants constituent des violations du droit international et des formes de violence dans lesquelles les enfants sont des victimes. Reconnaitre que ces enfants doivent être traités principalement comme victimes est une manière de réaffirmer également qu’aucun recrutement d’enfants ne peut être considéré comme pleinement volontaire du fait des capacités cognitives de l’enfant et des différentes formes de contrainte ou d’influence associées aux méthodes de recrutement. C’est partant de ce constat que le Gouvernement du Niger, soucieux du respect de ses engagements internationaux notamment la Convention relative aux Droits de l’Enfant(CDE), le Protocole facultatif à la CDE relatif à l’implication des enfants dans les conflits armés, la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant (CADBE), les Principes Directeurs et l’Engagement de Paris[11], relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, a décidé de considérer ces enfants principalement comme des victimes.
En effet, le 23 septembre 2016, en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, le Président de la République du Niger, Chef de l’État Issoufou Mahamadou, s’est entretenu avec Mme Leïla Zerrougui, Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies pour les enfants affectés par les conflits armés, et s’est engagé à prendre les dispositions afin que les enfants détenus pour des faits terroristes soient traités dignement et qu’ils bénéficient d’une prise en charge transitoire et d’une réinsertion familiale et sociale adéquate.
C’est fort de tout cela que le Ministère en charge de la protection de l’enfant a élaboré des termes de références afin de créer un environnement protecteur et éducatif pour ces enfants hors des maisons d’arrêt et préparer leur réinsertion familiale et communautaire. Le Ministère a ainsi obtenu le financement de ces termes de références auprès de l’UNICEF qui a recruté un consultant international pour accompagner la mise en œuvre du processus.
Ainsi, les objectifs spécifiques poursuivis s’articules autour de :
- Obtenir la libération des enfants ;
- Créer et équiper à Niamey quatre (4) centres de transit et d’Orientation (CTO) pouvant accueillir vingt (20) enfants chacun ;
- Recruter cinq (5) travailleurs sociaux et 2 conseillers psychopédagogiques par CTO devant assurer l’encadrement et l’accompagnement des enfants (28) ;
- Disposer des agents de sécurité, de cuissières, d’agents de ménage, d’agent d’alphabétisation, d’animateur socioculturel, de prêcheur, d’agent de santé… ;
- Disposer des produits alimentaires, sanitaires et d’entretien au profit des enfants ;
- Procéder au transfert des enfants dans les CTO ;
- Assurer la formation professionnelle des enfants ;
- Organiser des sortie récréatives avec les enfants ;
- Etablir la communication avec les parents des enfants en vue de leur adhésion et leur préparation à la réinsertion des enfants ;
- Organiser la réinsertion familiale et sociale des enfants ;
- Organiser des visites de supervision et suivi des CTO par le niveau central et la direction régionale de Niamey.
C’est ainsi que quatre (4) Centres de Transit et d’Orientions (CTO) ont vu le jour à partir de janvier 2017 à Niamey en vue d’accueillir les enfants présumés en association avec les groupes armés Boko Haram, grâce au financement de l’Unicef. L’objectif principal de ces centres est de préparer les enfants à un retour en famille après leur sortie de la Maison d’arrêt de Niamey.
Les centres disposent de ressources matériels (matériels de bureau, matériels des sports, ustensiles de cuisine, réfrigérateur, lits matelas, nattes……) et humaines (Assistants sociaux, Psychologues, sociologues, agent de santé, cuisinières, hommes et femmes de ménage, gardiens de jour et de nuit, menuisiers, alphabétiseurs, couturiers) pour leur bon fonctionnement.
La prise en charge dans la gestion de ces centres est assurée grâce à l’appui et au financement de l’Unicef par la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant (DRPF/PE).
Les différentes activités menées dans les CTO sont : le suivi individuel des enfants (psychologue), les prêches, l’appui psychosocial (accompagnement dans le projet de vie), les groupes de parole: (Thème: Respect mutuel, Drogue et Tabagisme, Délinquance juvénile, la vie en société, Hygiène……..), les activités sportives (Basketball, Football, handball….), les sorties récréatives 🙁 Musée National, fleuve, jardins…), les
activités ludiques (théâtre, Hip Hop, jeux de lido….)
Paragraphe 2 : La procédure de placement aux CTO
Les principes de Paris disposent que les enfants qui ont été recrutés ou employés illégalement par les forces ou groupes armés ne doivent pas être poursuivis ou sanctionnés ou menacés de poursuites ou de sanction au seul titre de leur appartenance ou association à ces forces ou groupes[12]. De plus ces principes prévoient que les enfants accusés d’avoir commis des crimes de droit international alors qu’ils étaient associés à des forces armées ou à des groupes armés doivent être considérés principalement comme des victimes d’atteintes au droit international, et non pas seulement comme des auteurs présumés d’infractions. En conséquence, ils doivent être traités dans le cadre d’une justice réparatrice et de réinsertion sociale et, chaque fois que possible, on veillera à recourir à des méthodes autres que des poursuites judiciaire[13].
C’est en conformité avec les obligations contenues dans lesdits principes que des avis d’exemption de poursuite ont été émis par le parquet antiterroriste du tribunal de grande instance hors classe de Niamey qui avait également saisi le juge des mineurs du pôle antiterroriste aux fins de prise d’ordonnance de placement des enfants associés à Boko Haram aux centres de transit et d’orientation. Les toutes dernières décisions de placement concernent trente-sept (37) mineurs non accompagnés qui étaient au centre de déradicalisation de Goudoumaria[14].
S’agissant particulièrement de la procédure à suivre pour le placement des enfants dans le cadre des mesures de protection, ce sont les articles 5, 6 et 36 de la loi n°2014-72 du 20 novembre 2014 qui fixent les contours.
Il faut relever qu’avant l’ouverture du centre de Goudoumaria, les mineurs ayant fait l’objet de poursuite de la part du parquet antiterroriste, regagnent le CTO toujours par ordonnance de placement du juge des mineurs sur réquisition du ministère public après leur mise en liberté provisoire, ordonnance de non-lieu ou décision de relaxe du tribunal des mineurs[15].
Le retour en famille de ces enfants après leur séjour aux CTO est exécuté conformément à la loi sur la justice pour mineurs au Niger. Il est organisé et exécuté par les agents desdits centres après avoir au préalable obtenu une ordonnance de révocation du placement et de retour en famille. Dans la première semaine de décembre, sept (7) enfants associés à Boko Haram et placés aux CTO étaient prêts à être réunifiés à Diffa et quatre (4) autres pour le nord Tillabéri selon les informations reçus de la direction générale de la protection de l’enfant (DGPE), de concert avec la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant de la région de Niamey.
Section 2 : La réintégration des enfants associés et le suivi des mesures de protection
Il s’agit de traiter de la procédure de réintégration (Paragraphe 1) avant d’aborder le suivi des mesures de protection (Paragraphe 2)
Paragraphe 1 : La procédure de réintégration des enfants associés
La résolution S/RES/2349(2017) adoptée par le conseil de sécurité le 31 mars 2017 encourage les pays de la région du lac Tchad à élaborer et mettre en œuvre des stratégies de désarmement, de démobilisation, de réintégration et de réadaptation transparente, inclusives et respectueuse des droits de l’homme en faveur des personnes associées à Boko Haram/Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL), également connu sous le nom de Daech. Cette approche régionale doit avoir une attention particulière à la réintégration des femmes et des enfants qui ont été associés à Boko Haram et doit être conforme aux obligations internationales. Cette résolution demande aux gouvernements concernés d’établir et d’appliquer des critères et processus de vérification qui permettent de déterminer rapidement les personnes qui ont été associées à Boko Haram et à l’EIIL et qui sont détenues par les autorités, y compris celles qui ont été capturées ou se sont rendues, ou qui se trouvent dans les camps de réfugiés ou des personnes déplacées et de veiller à ce que les enfants soient traités conformément au droit international.
S’agissant particulièrement des enfants en conflit avec la loi antiterroriste, il faut noter que contrairement aux éléments de Boko Haram qui ont fait acte de reddition, il n’existe par une procédure particulière type pour leur réintégration dans la mesure où le programme national de prise en charge de la reddition des éléments de Boko Haram, ne prend pas en charge les personnes arrêtées ou capturées qui sont mises à la disposition de la justice[16]. Elle se fait selon une procédure classique comme pour les enfants en danger.
En effet lorsque les enfants associés qui ont fait l’objet de placement au CTO finissent leur processus de déradicalisation et d’apprentissage, il sera procédé à la recherche de famille pour leur éventuel retour en famille. Cette phase c’est-à-dire le retracement familial, est généralement effectuée à la fois par les structures étatiques en charges des questions de protection de l’enfance en danger, des organisations de la société civile et par le CICR surtout lorsque les enfants sont de nationalité étrangère en relation avec l’UNICEF et le CTO. Une fois le retracement (recherche de famille) effectué, le retour effectif des enfants dans leur communauté d’origine est pris en charge par l’UNICEF.
Il ne faut pas aussi perdre de vue que ce retour en famille, donc dans la communauté ne se fera qu’une fois le comité de cohésion sociale aura effectué les séances de sensibilisation à l’endroit de la communauté d’accueil.
Enfin, il convient de préciser que le retour en famille est ordonné par une décision du juge des mineurs dans laquelle ce magistrat doit d’abord ordonner la révocation de la mesure de placement au CTO avant de statuer sur le retour en famille. Il est toujours souhaitable que le juge, dans sa décision ordonnant le retour en famille, statue sur le suivi.
Paragraphe 2 : Le suivi des mesures de protection
L’ensemble de ces mesures de protection en faveur des enfants associés qui doivent être considérés plus comme étant des victimes que des auteurs d’infraction à la loi pénale, doivent faire l’objet de suivi tant par le juge des mineurs que par d’autres intervenants de la chaine de protection.
Pour le juge des mineurs, il doit veiller à ce qu’après le retour en communauté des enfants associés à Boko Harm, ceux-ci fassent l’objet d’un suivi éducatif par les soins d’un travailleur social qui aura l’obligation de lui déposer un rapport de suivi selon une périodicité déjà fixée dans l’ordonnance aux fins de suivi éducatif. Le suivi de chaque enfant est défini dans un plan individuel en fonction de son profil. Il est primordial d’établir et d’entretenir une relation de proximité et d’échange entre l’enfant et sa famille dans laquelle chacun est impliqué de manière active dans la mesure de ses capacités à atteindre les résultats escomptés.
Les autres intervenants aussi doivent avoir à l’esprit, dans le cadre du suivi, que le renforcement des compétences familiales et l’appui direct à l’enfant sont primordiaux dans des situations où la famille n’est pas en mesure de prendre en charge l’enfant de manière adaptée. Ainsi, dans le but d’avoir un impact concret, les services spécialisés doivent s’entourer d’un réseau d’acteurs professionnels et de ressources et compétences de la communauté proche des familles et les divers acteurs doivent coopérer tant au niveau local, national, qu’international.
En effet, la réintégration dans la famille ne peut pas être une action ponctuelle sans suite. Elle doit être assortie d’un suivi de l’enfant et même de la famille. Ce suivi vise à assurer la stabilisation de la situation de l’enfant, la régularisation des relations familiales et la neutralisation des facteurs de risque. Il est aussi important de développer un réseau d’acteurs étatiques, d’ONGs, d’acteurs communautaires et d’un comité de référence des représentants religieux et de personnes qui ont des compétences pour accompagner des enfants, des familles ou pour être actifs dans des campagnes de sensibilisation. Pour cela, il est indispensable d’identifier les valeurs et les mécanismes communautaires qui soutiennent les approches inclusives et les droits individuels. En reconnaissant leurs valeurs et pratiques positives, les familles et communautés s’impliquent d’avantage dans le système de protection car ce dernier ne leur est pas étranger.
Le Niger dans ses efforts de respect des droits humains de manière générale et ceux de enfants spécifiquement à mis en place un système qui répond péremptoirement à tous ces critères développés ci haut pour une réussite de la réintégration des enfants.
Par SADOU KARIDIO Djibo, conseiller à la Cour d’Appel de Niamey, ancien juge des mineurs du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée.
- [1] Loi n°2016-19 du 16 juin 2016 modifiant la loi organique n°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger;
- Loi n°2016-21 du 16 juin 2016 modifiant et complétant la loi n°61-33 du 14 août 1961 portant institution du code de procédure pénale;
- Loi n°2017-007 du 31 mars 2017 modifiant et complétant la loi n°61-33 du 14 août 1961 portant institution du code de procédure pénale ;
[2]Mariel Garrigos-Kerjan, « La tendance sécuritaire de la lutte contre le terrorisme », A. Pédone, 2006, « Archives de politique criminelle ».
[3]LAZERGES (C.), « La dérive de la procédure pénale », Rev. sc. crim., n°3, juill.-sept. 2003, pp. 644-654.
[4]Le Conseil constitutionnel a admis que le législateur pouvait prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées des garanties égales aux justiciables : C. const., n°80-127 DC des 19 et 20 janv. 1981 (Sécurité et libertés), Rec., p. 15. RENOUX (Th.), « De la décision « juge unique » à la décision « Sécurité et liberté ». L’évolution du principe d’égalité devant la justice dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Gaz. Pal., n°273-274, 30 sept. – 1er oct.1983 ; du même auteur, note au D. 1986, p. 425. C. const., n°86-213 DC du 3 sept. 1986 (Loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’Etat), Rec., p. 122.
[5]La première affaire dont s’est trouvé saisie la Cour européenne des droits de l’homme concernait la matière terroriste : CEDH, 1er juil. 1961, Lawless, série A, n°3. Très tôt, la Cour a admis que la lutte contre le terrorisme justifiait le recours à des méthodes spécifiques dans la mesure où « les sociétés démocratiques se trouvent menacées de nos jours par des formes très complexes d’espionnage et par le terrorisme, de sorte que l’Etat doit être capable, pour combattre efficacement ces menaces, de surveiller en secret les éléments subversifs opérant sur son territoire », CEDH, 6 sept. 1978, Klass et autres c. République Fédérale d’Allemagne, série A, n°28, § 48.
[6]Ensemble des règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), Adopté par l’assemblée générale dans sa résolution 40/33 du 29 novembre 1985 et 37 b de la convention internationale relative aux droits de l’enfant du 2 septembre 1990.
[7] Voir la situation actualisée des procédures pénale du pôle mise à jour le 21 mars 2017.
[8]Cette disposition prévoit : «La détention provisoire est une mesure exceptionnelle. Elle ne peut être ordonnée ou maintenue que dans les conditions définies ci-après
: (…)
3º Lorsque l’infraction, en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission ou de l’importance du préjudice qu’elle a causé, a provoqué un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public, auquel la détention est l’unique moyen de mettre fin.
[9]Cf. art. 3.1de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 2 septembre 1990: «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale»
[10]Geert Cappelaere, Anne Grandjean, Enfants privés de liberté, droits et réalités, Éd. Jeunesse et Droit, Paris-Liège, 2000, p. 41
[11]Cf. Les Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés : http://www.un.org/children/conflict/french/childsoldiers.html.
[12]Voir paragraphe 8.7 des principes de Paris
[13] Arrêté n°000112/MISP/D/ACR du 9 février 2019 portant création, mission et fonctionnement du centre d’accueil des personnes associées au groupe terroriste BokoHaram ayant fait acte de reddition volontaire » (s. d.).
Voir paragraphe 3.6 et 3.7 des principes précités
[14] Arrêté n°000112/MISP/D/ACR du 9 février 2019 portant création, mission et fonctionnement du centre d’accueil des personnes associées au groupe terroriste BokoHaram ayant fait acte de reddition volontaire.
[15] Selon les statistiques de la direction générale de la protection de l’enfant en 2017, trente (30) enfants ont été placés aux CTO parmi lesquels quatorze (14) ont fait l’objet de réunification. En 2018, 29 enfants ont été placés et trente-huit (38) ont fait l’objet de retour en famille.
[16] Voir le programme national de prise en charge de la reddition des éléments de Boko Haram du ministère de l’intérieur, de la sécurité publique, de la décentralisation, des affaires coutumières et religieuses, juin 2018, P 5.